Raymond Dulaurens
Raymond Dulaurens, né le 7 février 1891 à Paris [2] , décédé le 29 août 1951 à Nanterre, est un professeur d'espéranto et publicitaire. Pionnier du camping, il sillonne une partie de l'Europe et de l'Afrique subsaharienne dans les années 20 . Pendant l'Occupation, son intelligence et son excellente maitrise de l'allemand lui valent d'être recruté par les occupants, et chargé de l'achat des métaux non ferreux. En 1944, il est finalement dénoncé puis arrêté, avant d'être condamné définitivement en 1946 pour "commerce avec l'ennemi".
Biographie
Jeunesse et engagement espérantiste (1908-1914)
- 07.02.1891 / Paris, 10eme. Naissance de Raymond Dulaurens au domicile de ses parents, 95 Quai de Valmy [3]. Il est le troisième enfant de René Louis Marie Dulaurens (1860-1930), employé des chemins de fer de l'Est, et de Fanny Amélie Bouessé de la Bellonière (1867-1943), sans profession, mariés le 5 mai 1885 à Paris [4]. Son père et sa mère son cousins germains, son grand-père paternel étant le frère de sa grand-mère maternelle [5].
Ascendants de Raymond Dulaurens jusqu'à la troisième génération, illustrant l'implexe dans la famille .
- 03.12.1908 / Villemomble. Est le premier à donner un cours d'espéranto dans la ville. [6]
- mai 1909 / Villemomble. Fonde le groupe espérantiste de la ville. [7]
- octobre 1909 . Il rejoint l'équipe de rédaction du journal "L'Art dramatique et musical", journal satirique paraissant le 15 et le 30 de chaque mois, dans lequel il publie dès octobre 1909 une série d'articles « destinés à répandre parmi les artistes, l'Espéranto, la langue universelle de l'avenir ».[8]
- décembre 1909 . Il rejoint l'équipe de la revue mensuelle l'Enfant, consacrée à la protection de l'Enfance, dans lequel il rédige des articles promouvant l'espéranto comme remède à. Il est ensuite nommé Directeur de la publicité [9]. Dans son premier article en décembre 1909, Dulaurens termine par :
« Pourquoi les « Sociétés de Protection de l'Enfance » n’accepteraient-elles pas de se servir de cette langue dans leurs relations internationales ? De l’union naît la force, et les enfants, nos enfants pour lesquels nous travaillons, seraient les premiers à profiter des bienfaits résultant de l’entente des peuples. »[10]
— L'Enfant, décembre 1909
- 02.08.1914 - 07.10.1919 / France. Campagne contre l'Allemangne. En 1915, il est envoyé sur le front au 75ème régiment d'infanterie puis change sept fois de régiment entre 1915 et 1917 passant progressivement de l'infanterie à l'artillerie puis au génie, avant d'être envoyé en pension plus régulièrement pour « troubles psychopathiques avec hyper-émotivité, dysthémie asthénie et dyspnée, vertiges de l’escalier». Après la fin de la Guerre, sa pension d'invalidité est déclarée nulle son état étant jugé «très satisfaisant, sans aucun désordre nerveux objectif, nerveux constatables».[11]. C'est aussi sur le front qu'il fait la connaissance de Julien Guillemard, fondateur de la revue littéraire "La Mouette", où il rédige en pensions quelques articles très critiques envers la guerre et ouvertement germanophobes.
- 11.11.1914 / Rennes. Mariage avec Marie-Thérèse Pretceille [12]
- 08.1918. Une lettre du front de Raymond Dulaurens est publiée dans la revue "La Mouette". l y dénonce la dérive autoritaire de la « démocratie » moderne, plus oppressante que l’ancienne monarchie, la succession ininterrompue de tyrannies, l’illusion d’une liberté sans cesse trahie et le mutisme imposé par le fracas des canons.
Dimanche, 14 Juillet 1918.
Mon cher Ami,
Pendant que, de part et d’autre, le canon gronde, je me demande si c’est une manifestation en l’honneur de 89 que célèbre le roulement d’artillerie ! Ainsi voilà cent vingt-sept ans que nos aïeux ont jeté bas la Bastille ! Et par Bastille n’entendons pas la prison, la maison de pierres, mais le principe de la Force illégale ! C’était l’autocratie qu’ils détruisaient, c’était la populocratie qu’ils instituaient !! Notez que je ne dis pas démocratie, car, en un siècle, que la chose a changé de sens sinon de nom ! Et n’est-il pas aujourd’hui rien de plus autocrate, de plus autoritaire, de plus contraire aux libertés et surtout de plus ennemi de la Liberté Individuelle que notre Démocratie !!
Dans les grondements du canon j’entends l’Histoire qui parle. Puisque je cite le canon comme leit-motiv, je n’ai pas le droit de remonter plus loin que Crécy, mais aussi bien les deux siècles passés suffisent à notre instruction et même sont trop suffisants, hélas ! à nous prouver l’inanité de nos recherches, de nos espoirs !
Tyran après tyran, Prison de pierre après Prison morale, La Bastille et Waterloo, Sedan et Paris, montrez-moi une Liberté individuelle plus grande aujourd’hui qu’hier ! Ah ! Ah ! Ah ! Hier, je combattais pour un maître… et aujourd’hui ? Pour des Principes ? Que non pas. Même pas pour mon Idéal, même pas pour sauver ma Liberté ! Oui, comble de l’ironie, ce n’est même pas pour me réserver Ma Liberté que je combats, c’est…
Chut ! Je m’arrête, mon ami. Le canon qui tonne toujours m’apprend que l’Histoire ne doit être envisagée et discutée que dans le Passé. Dans le présent… il faut se taire si l’on veut garder encore le semblant de Liberté qui nous est dévolu.
Voilà le résultat du Cafard, ce 14 juillet 1918. Si la Presse était libre, je l’aurais donné aux peuples ce cri de révolte ! Je me soulage en vous l’adressant, pas bien sûr que vous pourrez le garder pour vous. Faites-en ce que vous voudrez. Tant pis.
Très cordialement vôtre,
RAYDUL.
— La Mouette, août 1918, lettre de Raymond Dulaurens à Julien Guillemard
Voyages en roulotte automobile (1923-1939)
- 1922 Il fait agencer en maison roulotte sa voiture Ford.
- 1923 Il l rejoint en tant que représentant de commerce les établissements Técalémit de Paris qui sponsorisent son "home" par des affiches publicitaires sur la carrosserie. Il effectue pendant quelques mois des tournées de représentation en France. Fort du succès de ce mode de transport inédit, la société annonce en 1924 que Raymond Dulaurens entamera une tournée de représentation au Maroc, en Algérie et en Tunisie en fin d'année.
- 04.11.1924-29.05.1925. Expédition, en compagnie de sa femme et ses deux chiennes, avec sa roulotte automobile Técalémit au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Itinéraire de Casablanca à Tunis. [13].
VISIONNER L'ITINERAIRE : ici
Embarquement de la roulotte à Bordeaux.
La roulotte Técalémit [Place de France https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_des_Nations-Unies_(Casablanca)] à Casablanca.
La roulotte devant la Tour de Pise .
La roulotte Técalémit à la sortie du Col de Tende.
- 07.1926 - 09.1926. Tournée en Suisse. [15] [16][17][18][19][20]
- 28.08.1927-02.09.1927 / Bayonne. Le Député-Maire de Bayonne Joseph Garat lui refuse le stationnement dans la ville, s'appuyant sur un arrêté municipal interdisant le stationnement des "voitures de nomades". 'Dulaurens' est finalement expulsé avec l'intervention de la police municipale. S'en suit un affrontement par lettres interposées dans les journaux locaux. [21][22][23]
- 1928 / Paris. Il en engage un recours pour excès de pouvoir contre la décision du maire de Bayonne qui lui a refusé l’autorisation de stationner sa roulotte automobile à usage d’habitation sur le domaine public. Il avance principalement deux arguments. Selon lui, l’arrêté municipal du 2 août 1927 visait les « voitures de nomades » et non les touristes motorisés. Enfin, des permis de stationnement étaient accordés à d'autres véhicules dans des conditions similaires.
- 07.09.1930 / Paris. Décès de son père René Louis Marie Dulaurens à l'âge de 70 ans. [24]
- 11.05.1928. Brevet d'invention :Outil pour le découpage circulaire de planches, tôles, etc. [25]
- 31.10.1928. Brevet d'invention : Frein à air comprimé pour automobile [26]
- 21.05.1931 / Versailles. Adoption de Valentine Augustine FORRE, née 07.02.1930 à Chambéry. [27]
- 11.01.1932. Brevet d'invention : Liseur de cartes avec itinéraires à bandes étroites enroulées sur bobines [28]
- 03.06.1932 / Paris. Le Conseil d'État rejette finalement son pourvoi en juin 1932, validant le pouvoir de police des maires. Est édictée la jurisprudence "Dulaurens-Pretceille" stipulant :
"Un maire ne fait qu’user des pouvoirs de police sur les voies publiques qu’il tient des articles 97 et 98 de la loi du 5 août 1884, en refusant à un particulier l’autorisation de laisser stationner ou séjourner sur une place de la ville un véhicule automobile à destination d’habitation."[29]
— Jurisprudence Dulaurens-Pretceille, 3 juin 1932
- 21.09.1936. Il demande à ce que sa fille adoptive Valentine Augustine FORRE puisse porter à l'avenir le nom de DULAURENS. Il souhaite également qu'elle se prénomme désormais Jacqueline Germaine Yvonne. [30]
- 30.03.1938. Par décret du Président de la République sa fille adoptive Valentine Augustine FORRE est autorisée à porter le nom DULAURENS. [31]
Activités pendant l'Occupation et répercussions (1939-1946)
SOURCES : Cote 217 W 79 - Cour de justice de la Loire Inférieure, DULAURENS Raymond, dossier n° 329 (1946). Archives départementales d’Ille-et-Vilaine [consultées le 15 juillet 2024]
- 09.1939 / Nantes. En raison guerre, son affaire s'arrête. Il a Nantes où il possède Avenue des Fleurs un terrain de camping. Il fait immédiatement construire sur ce terrain maison légère et demeure.
- 06.05.1940 / Nantes. Sa moto entre en collision avec un camion de l'armée anglaise. Il est gravement blessé. Il souffre d'une fracture du front, de l'épaule et du menton.
- 12.1940 - 1943 / La Chapelle-sur-Erdre. Sous l'Occupation, les Allemands ont aménagé le Camp de La Gascherie à La Chapelle-sur-Erdre en centre de réparations des automobiles abandonnées par les Anglais, et de leurs propres véhicules. Dulaurens y est d'abord employé comme traducteur, où il catalogue les pièces matérielles laissées par les Anglais et traduit en Allemand. Il est ensuite chargé par le lieutenant Kleyer de l'achat de métaux non ferreux nécessaires à ces réparations. Par la suite, il est envoyé récupérer pour les autres parcs automobiles ainsi que pour l'Allemagne de tout métaux non ferreux qui pouvaient lui être offerts en France.
Le lieutenant Kleyer aux entrepôts de la Gascherie. [1]
- 1943 / Paris. Les allemands reçoivent de nombreuses réclamations de Dulaurens car ils ne payent plus leurs fournisseurs. Les allemands, excédés, le font incarcérer pendant trois semaines la prison du Cherche-Midi.
- 18.02.1943 / Paris. Décès de sa mère Fanny Amélie BOUESSE DE LA BELLONIERE à l'âge de 75 ans. [url]
- 25.09.1944 / Chaudefonds-sur-Layon. Les Forces françaises de l'intérieur(FFI) envahissent son domicile secondaire à la Chaudefonds-sur-Layon et y saisissent de nombreux biens.
- 06.10.1944 / Nantes. Il est arrêté à Nantes et interné au Centre du Bocage dans la même ville, sur ordre du Préfet de Loire inférieure. Il est accusé d'avoir "été interprète au Camp de la Gascherie et un gros démarcheur pour les allemands."
- 31.01.1945 - 16.01.1946 / Nantes. Procès Dulaurens pour "Commerce avec l'ennemi", durant lequel il est maintenu en détention à La Maison d'Arrêt de Nantes.
- 16.01.1946 / Nantes. Dulaurens est reconnu coupable :
Attendu qu’il existe, en conséquence, des charges suffisantes contre Dulaurens Raymond, d’avoir à Nantes, à Paris et à La Chapelle-sur-Erdre et sur le territoire français, depuis le 16 juin 1940 et en temps de guerre, fait, au mépris des prohibitions édictées, des actes de commerce avec les agents ou sujets de l’Allemagne, puissance ennemie, en vue de favoriser ses entreprises contre la France.
— Conclusion du procès de Raymond Dulaurens, 16 janvier 1946
- 21.01.1946 / Nantes. La Cours de Justice de la Loire Inférieure le condamne à 15 ans de travaux forcés, à 20 ans d'interdiction de séjour, à la confiscation de ses bien. Il est aussi est frappé d'indignité nationale. Il commence sa peine le 31.01.1946.
Fin de sa vie en détention (1946-1951)
SOURCES : Cote 217 W 79 - Cour de justice de la Loire Inférieure, DULAURENS Raymond, dossier n° 329 (1946). Archives départementales d’Ille-et-Vilaine [consultées le 15 juillet 2024]
- 31.01.1946 - autour de 18.10.1950. Passages par : Maison d'Arrêt de Nantes, Maison d'arrêt de Vannes, Maison Centrale de Fontevrault
- 22.05.1948 / Paris. Divorce Marie Thérèse Eulalie Léonie PRETCEILLE. (Archives de Paris)
- Autour de 18.10.1950 / La Celle-Saint-Cloud. Centre Pénitentáaire de la Châtaigneraie par la CELLE-SAINT-CLOUD
- Autour de 08.12.1950 / Fresnes. Infirmerie de la prison de Fresnes
- Autour de 23.05.1951 / Nanterre. Hôpital de Nanterre (remise de ses TF)
- 29.08.1951 / Nanterre. Décès de Raymond Dulaurens à l'Hôpital.
Thématiques
- L'Espéranto au début du XXème siècle
- Le Tourisme dans les années 20
Analyses NGram par thèmes
L'Espéranto au début du XXème siècle
- S'engage pour la cause espérantiste au moment du premier grand pic (1908). Influencé dans sa jeunesse.
- On parle moins de l'espéranto pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918)
- Dans l'entre-deux-guerres des mouvement pacifistes se forment et l'espéranto s'inscrit dans cette dynamique.
Le Tourisme dans les années 20
- Lorsque Raymond Dulaurens est né, le tourisme, comme le camping sont des termes quasiment inexistants dans la presse.
- Le premier commence à se developper au début du XXième siècle, subi un coup d'arrêt durant la Grande Guerre puis augmente en masse à partir des années 20.
- C'est dans ces années là que Dulaurens débute ses voyages en "Home Mobile". Il s'inscrit donc dans cette dynamique post-Première Guerre mondiale.
- Le deuxième, "camping", ne semble prendre de l'ampleur véritablement qu'à partir des années 60.
- Le fait que Dulaurens pratique déjà le camping en dans les années 20 permet de le considérer comme un véritable précurseur de ce mode de voyage, du tourisme en camping. C'est une avance de 40 ans environ.
L’Épuration à la Libération en France à la Libération de la France en 1944
- Sans surprise, le pique associé à épuration se manifeste 1944 - 1945. Le mot est donc bel est bien associé à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
- Le procès de Dulaurens est pleinement corrélé à ce pique.
- L'occurence devient plus élevée ensuite à partir des années 70. Cela est dû en partie au travaux de Robert Paxton qui publie un des tous premiers ouvrages sur la France de Vichy, ce qui relance le débat sur cette période controversée, les collaborateurs et donc l'épuration.
Datafication des articles de presse
- Parmi les trois thèmes choisis, il est clair que Raymond Dulaurens est dans la presse bien plus associé à ses voyages en 'Home mobile' qu'à son engagement espérantiste ou à son rôle sous l'Occupation allemande.
- Les sources montrent que les occurrences de Dulaurens dans la presse pour sa période 'espérantiste' viennent principalement de sources propres à l'espéranto et d'articles qu'il a écrit lui-même. Alors que pour sa période de 'tourisme' il apparaît dans tous types de revues, locales, nationales, spécialisées ou non.
- Concernant son procès pour collaboration, malgré le dossier conséquent, il n'a pas suscité l'intérêt de la presse. Seule la presse locale (Charente-Inférieure, Nantes) ont parlé du jugement au moment de la délibération, et plus aucun articles, mention de son procès n'ont été abordés par les médias depuis.
- A niveau des mois d'occurrences, on retrace bien les grandes périodes de sa vie : long voyages en camping, procès contre de maire de Bayonne, décision, puis condamnation en 1946.
Conclusion
Raymond Dulaurens a marqué son époque par son engagement précoce en faveur de l’espéranto, qu’il a promu dès 1908 auprès des artistes et des mouvements de protection de l’enfance. Devenu pionnier du « home mobile », ses voyages en roulotte à travers l’Europe et l’Afrique du Nord dans les années 1920 témoignent de son esprit d’innovation et de son goût pour l’aventure. Cependant, son rôle sous l’Occupation allemande, en tant qu’interprète et acheteur de métaux pour les forces d’occupation, a conduit à son arrestation et à sa condamnation pour commerce avec l’ennemi en 1946.
En comparant les NGrams de la presse de l’époque aux grandes phases de sa vie, il en ressort que Raymond Dulaurens suit globalement les tendances médiatiques. Seule la notion de « camping » fait exception : Dulaurens en est un véritable pionnier, pratiquant ce mode de voyage près de quarante ans avant qu’il n’apparaisse dans la presse. L(analyse générale permet de conclure que c’est principalement son « home mobile », l’affaire contre le maire de Bayonne en 1927 et, à moindre échelle, son procès pour commerce avec l’ennemi en 1946 qui ont laissé une postérité durable dans les journaux d’époque.
Fiche Wikipast réalisée par Pierre-Yves Dulaurens dans le cadre du cours SHS "Humanité Digitales" au semestre de printemps 2026.